Il y a des films sur lesquels nous sommes portés à avoir un a priori positif. Ainsi en est de The Sword Bearer (Меченосец, 2006), de Filipp Yankovski. D’abord du fait du réalisateur, dont nous avons déjà vu Le Conseiller d’État (Статский советник, 2005), un film historique adapté de Boris Akounine et de fort bon aloi. De plus, The Sword Bearer est lui-même adapté d’un roman éponyme de Evguéni Danilenko, oeuvre que nous n’avons pas pris le temps de chroniquer ici, un récit sombre, très sombre, à l’ambiance pesante mais de bonne facture. Et quand en plus nous voyons que les deux rôles principaux sont tenus par Artem Tkatchenko et surtout par la merveilleuse Tchoulpan Khamatova (que le public français a pu découvrir dans Luna Papa et surtout dans Goodbye Lenin), il n’est plus guère possible de faire l’impasse sur ce film.
Sacha est un monstre. De son bras droit, il peut faire sortir une lame incassable, de la longueur qu’il veut. Sa mère a divorcé d’un premier mari qui ne lui a jamais versé de pension, et s’est remariée avec un alcoolique. Et par deux fois, dans son enfance, Sacha a tué. D’abord un marginal qui voulait agresser une amie ; puis son beau-père qui voulait battre sa mère. Doté d’une force colossale, il est devenu incontrôlable. Pourtant, il parvient à garder le secret sur son pouvoir. D’abord viré de son collège, marginalisé, puis devenu adulte il est encore dépendant de sa mère, qu’il aime par-dessus tout. Mais un jour, alors qu’il revoit une amie d’enfance, il est sauvagement agressé par le fiancé de celle-ci, le fils d’une mafieuse. Pris de colère impulsive, il massacre le fiancé en question et son chauffeur, à coups de barre de fer, sous les yeux de son amie.
Commence alors une longue fuite en avant. Pourchassé autant par la police que par les mafieux qui veulent lui faire la peau, il égrène les morts sur son chemin jusqu’à rencontrer, au dernier étage d’un immeuble sur le toit duquel il a vainement tenté de se trancher le bras, Katya, une jeune femme qui par son seul amour parviendra un temps à le stabiliser.
Sous d’autres cieux et dans d’autres studios de cinéma, un personnage doté de pouvoirs comme ceux de Sacha aurait été affublé d’un costume ridicule et serait devenu un superhéros ou un super-vilain. De fait, en lisant le résumé du film tel qu’il est proposé un peu partout, on serait tenté de penser à un mélange de Hulk et de Wolverine : rien ne serait plus faux. Danilenko, et à sa suite Yankovski, ont fait de Sacha un homme, autrement dit une anomalie dont les autres enfants ont peur, puis un marginal, et enfin un tueur. Le pouvoir de Sacha est sa malédiction, et sa vie sur terre est un enfer. Les catalogues de cinéma russe ont d’ailleurs eu bien du mal à classer The Sword Bearer : fantastique ? action ? thriller ? mélodrame ? En fait tout cela en même temps, et c’est ce qui fait la force du film. Film fantastique, puisque le personnage principal est doté d’un pouvoir extraordinaire, qu’il tente de cacher aux yeux de tous. Action et thriller : sa fuite puis sa lutte contre la mafia et la police relève bien de ces genres, même si l’enquête reste en arrière-plan et si les scènes de combat sont remarquablement courtes – quelques secondes – même toujours terriblement efficaces, voire parfois choquantes de cruauté. Mélodrame, enfin et surtout, car il s’agit là d’une formidable histoire d’amour entre Sacha et Katya, une jeune femme qui accepte de le suivre quoi qu’il arrive, même si cela doit être au prix de sa santé mentale.
Si nous regrettons quelques raccourcis scénaristiques – mineurs cependant –, et un final pas tout à fait à la hauteur au niveau des effets spéciaux, nous ne pouvons cependant que constater que The Sword Bearer est un beau et riche film, qui peut sembler lent, mais dans lequel il se passe une foule de choses. Servi par de bons acteurs, une belle image, des idées de mise en scène troublantes, notamment pour suggérer la violence plus que la montrer, il se classe pour l’instant, à nos yeux, dans ce qui s’est fait de mieux en matière de fantastique russe ces dernières années.
The Sword Bearer n’est a priori pas sorti en France. On peut cependant trouver sur internet une version doublée en français dont nous ne connaissons pas l’origine. Force est de reconnaître que ce doublage, fait par des acteurs insipides, dessert le film. Pour les anglicistes, un DVD avec sous-titres anglais est cependant disponible.